Les bulletins alarmistes sur les conséquences économiques et financières de la pandémie mondiale de Covid-19 se multiplient. On serait d’ores et déjà à l’aube d’une récession économique sans précédent. Quelles décisions prendre dans ce contexte vis-à-vis de son épargne ?
La situation de l’économie mondiale, déjà ralentie avant la crise du coronavirus, ne va pas s’arranger dans les mois à venir. Il serait difficile de prétendre le contraire. Tous les experts et analystes expriment peu ou prou les mêmes craintes à travers le monde. Le Fonds monétaire international (FMI) indiquait ainsi courant avril que « la croissance mondiale va devenir négative en 2020. Et que l’on se trouve face aux pires conséquences économiques depuis la grande dépression de 1929. » Le ministère de l’Économie et des Finances français table déjà sur un repli de – 8 % de la croissance dans l’Hexagone pour 2020. Cela ne signifie pas que les marchés, notamment bancaires et boursiers, vont forcément vivre d’importants krachs, ni que la crise sera pire, dans ses conséquences économiques, que d’autres déjà vécues par le monde moderne.
La bourse par exemple, après une forte chute fin mars, a connu plusieurs semaines de progression, effaçant une bonne partie de ses pertes. Reste la question de la durée de la pandémie et de ses conséquences en termes de chômage. Impossible ainsi de ne pas tenir compte de certaines inquiétudes légitimes pour les États, qui vont devoir maintenir l’économie sous perfusion pendant un temps encore indéterminé, et pour les particuliers qui vont tenter de protéger au mieux leur épargne.
Pour répondre à cette dernière question délicate, nous avons consulté de nombreuses analyses économiques réalisées depuis l’apparition de l’épidémie et fait appel à deux experts français parmi les plus pointus des marchés financiers : Jean-Pierre Rondeau, conseiller en gestion indépendante de patrimoine, président d’honneur de la compagnie des CGPI, célèbre pour la qualité et l’indépendance de ses expertise, et un analyste de longue date de l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui a souhaité conserver l’anonymat. Voici les principales lignes directrices qu’il est possible aujourd’hui de tracer et de vous proposer sur la base de leurs conseils.
Prudence
À chaque période de crise économique et financière surgissent de nombreux acteurs proposant des solutions plus ou moins miraculeuses pour mettre son argent à l’abri ou profiter d’opportunités inédites. Cela n’a pas manqué avec la multiplication de nouveaux sites proposant des investissements en vins, or, Forex, monnaies virtuelles, immobilier à l’étranger (par exemple, Europe de l’Est ou États-Unis), etc. « À fuir » impérativement, affirme l’expert de l’AMF.
Jean-Pierre Rondeau va plus loin. Selon lui, il faut également se méfier aujourd’hui du marché obligataire (dettes émises par les États ou grandes entreprises), notamment les obligations dites High Yield (pays et entreprises les moins bien côtés). « Les taux sont proches de zéro, peu de plus-values sont à attendre d’une baisse significative. Ou alors c’est que la situation économique s’aggrave, dans ce cas pourquoi investir ? Si les taux montent, attention au risque de krach. Il ne faut pas croire certains gérants qui promettent de savoir sortir au bon moment : rappelez-vous qu’ils ne jouent pas avec leur propre argent, mais le vôtre ! » martèle Jean-Pierre Rondeau. Alors ? « Ce n’est peut-être pas très excitant, mais si on veut la sécurité, la meilleure solution aujourd’hui est de rester investi en assurance vie en euros (et non en unités de comptes), en livrets réglementés [livret A, livret LEP, livret LDD, livret PEL ou CEL, NDLR] et en comptes bancaires », assure-t-il encore. Certes, les taux sont au plus bas et les rendements très faibles. Mais ce sont les seuls produits pour lesquels les compagnies garantissent le capital investi. En 2016, l’article 49 de la loi Sapin 2 a fait peur à de nombreux épargnants en permettant au Haut Conseil à la stabilité financière (HCSF) de suspendre, retarder ou limiter les retraits d’argent ou arbitrages sur l’assurance vie en cas de « menace grave et caractérisée » pour le système financier… Mais pour l’expert de l’AMF, ce n’est aucunement une raison de fuir les assurances vie. Ce dispositif, au contraire, a été mis en place pour sauvegarder le système général : le blocage des retraits et dépôts est limité à 6 mois et vise à éviter les mouvements de panique et de retrait en masse… qui, eux, pourraient mettre des compagnies en péril.
Inutile en revanche de multiplier les ouvertures de comptes ou assurances dans le plus grand nombre d’établissements possibles afin de bénéficier des protections des fonds de garanties des banques (FGDR : Fonds de garantie des dépôts et de résolution) ou des assureurs (FGAP : Fonds de garantie des assurances de personnes). Si une crise bancaire survenait, les montants des deux fonds de garantie (4,2 et 2 milliards) permettraient à peine de couvrir les clients du premier gros établissement qui disparaîtrait. Il est en outre assez peu probable aujourd’hui qu’un État prenne le risque de laisser faire faillite une grande banque ou un gros assureur, avec l’impact systémique sur le reste des autres établissements financiers que cela pourrait avoir, jugent la plupart des économistes et analystes financiers. « On trouvera d’autres moyens pour éviter cette catastrophe. Il pourra s’agir de nationaliser l’établissement en difficulté, de le faire racheter par un concurrent grâce à une subvention et une garantie de l’État… ou toute autre solution qui sortira de l’imagination sans limite de l’homme », écrit par exemple Guillaume Fonteneau, conseiller en gestion de patrimoine indépendant.
Une relative adaptabilité
Depuis plusieurs années, les banquiers et assureurs incitent leurs clients à transférer une partie de leur assurance vie investie en fonds euros (c’est-à-dire dont le capital est garanti) vers des unités de compte, afin de « doper » les rendements. Il est plus que jamais déconseillé de céder à ces sirènes qui incitent à souscrire des unités de compte (fonds communs de placement en actions investies en bourse ou produits structurés). Le client n’a dans ces cas pratiquement aucune possibilité de savoir sur quelles valeurs financières son épargne est investie ni de connaître précisément leur rendement. C’est tout particulièrement le cas des fonds structurés, véritables boîtes noires, bourrées de frais de gestion qui grignotent les rendements. Néanmoins, les clients qui possèdent une assurance vie en euros et qui ont fait le plein des livrets réglementés peuvent envisager de prendre un peu de risques en plaçant leur surplus d’épargne dont ils n’ont pas besoin à court et moyen terme sur le marché des actions. Mais dans ce cas, mieux vaut ouvrir un compte-titre ou un plan épargne en action (PEA) pour acheter directement des actions pures d’entreprises que l’on connaît et dont on pourra suivre soi-même les cours.
Mieux vaut, en ce moment, laisser les produits les plus à risques ou les plus chargés en frais – obligations, fonds communs de placements, fonds structurés, fonds monétaires, trackers, monnaies virtuelles, investissements locatifs, y compris SCPI – aux institutionnels !
À noter : il n’est pas impossible, si la situation s’aggravait, que les États mettent en place des systèmes de taxation de l’épargne. Mais dans ce cas, tous les produits financiers (sécurisés et liquides comme les fonds euros et livrets ou plus risqués comme les actions, les fonds communs de placement, les SCPI, etc.) seraient concernés.
Lire aussi
Coronavirus • La crise peut-elle impacter votre épargne ?
Coronavirus • Votre argent et votre budget pendant l’épidémie
Élisa Oudin