Après les masques et les tests, d’autres produits de santé, indispensables au traitement du Covid-19, pourraient venir à manquer. Les tensions d’approvisionnement en anesthésiques et antibiotiques, donnés aux patients gravement atteints, se font sentir dans les hôpitaux. Au point de craindre une pénurie de ces produits cruciaux.
Pour les quelques milliers de patients Covid-19 en réanimation en France, seuls les médicaments anesthésiques puissants rendent possibles l’endormissement profond et la respiration via des machines. Or depuis la semaine du 23 mars, des tensions d’approvisionnement se font sentir dans les hôpitaux, notamment parisiens, à mesure que la vague de patients dans un état grave déferle en Île-de-France.
Une inquiétude exponentielle
Au point que le 27 mars, la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) recommande de « rationaliser » l’utilisation des produits anesthésiques, par exemple en diminuant de 20 % la quantité de produits administrée par patient, en assurant que la qualité de la prise en charge des malades n’en est pas affectée.
Des économies face à une peur qui n’a cessé de grimper depuis. Le 1er avril, les établissements franciliens comptaient plus de 2 000 patients en réanimation. Depuis le début de la pandémie, la consommation de médicaments indispensables aux patients sous respiration artificielle a bondi de 2 000 %, répète le gouvernement.
La situation est si alarmante qu’une coalition comprenant notamment les collectifs inter-hôpitaux et inter-urgences ainsi que l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament a saisi le Conseil d’État pour demander « des réquisitions nécessaires face à la pénurie de matériel et de médicaments », le 30 mars. Leur demande a été rejetée le 2 avril.
Le 1er avril, neuf CHU européens dont l’AP-HP ont appelé leur gouvernement respectif à « une meilleure collaboration européenne pour empêcher les pénuries de médicaments », sans quoi « les stocks seront épuisés dans quelques jours dans les hôpitaux les plus durement touchés et dans deux semaines » pour les autres.
Des ruptures en cascade
Pour pallier les difficultés d’approvisionnement en curares, ces anesthésiques de première intention, « les services de réanimation ont utilisé du propofol et depuis qu’il est en rupture de stock, ils se reportent sur le midazolam. Du coup il n’y en a quasiment plus alors on se rabat sur le rivotril et le valium. Ces pénuries en cascade sont très inquiétantes », rapporte Patrick Léglise, vice-président du Synprefh (Syndicat national des pharmaciens des établissements publics de santé).
Le rivotril sous forme injectable a même été temporairement autorisé à être distribué en pharmacie d’officine dans un décret du 28 mars pour soigner les patients Covid-19, sous ordonnance. De quoi inquiéter aussi d’autres malades comme les épileptiques : le ritrovil est aussi leur traitement d’urgence. Plus largement, France Assos Santé alerte sur les risques de ruptures de stock sur les traitements des maladies chroniques à présent utilisés massivement pour faire face à la pandémie.
Le fond du problème réside dans la dépendance du Vieux continent : entre 60 et 80 % des principes actifs, les moteurs des médicaments, sont issus d’un pays hors de l’Union européenne, selon l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), et essentiellement de Chine et d’Inde. Des pays eux aussi touchés par la pandémie. Le ralentissement, voire l’arrêt des chaînes de production des usines chinoises de fabrication des matières premières de médicaments alors que la demande mondiale flambait a augmenté les risques de pénurie. Une fois touchée, l’Inde a restreint l’exportation de médicaments et principes actifs comme les antibiotiques.
Or l’autre grande inquiétude des hôpitaux concerne les ruptures de stock d’antibiotiques tels que l’Augmentin déjà indiqué « en tension d’approvisionnement » sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) depuis le 6 février 2020. La « remise à disposition normale » est prévue pour juin 2020… Il permet pourtant d’éviter les surinfections bactériennes, notamment pulmonaires, car on ne meurt pas directement du virus, mais de la surinfection qu’il provoque en affaiblissant le corps.
Répartir les stocks ?
Depuis le 31 mars, dans son point journalier, Jérôme Salomon, directeur général de la santé, évoque des solutions « en aval pour s’assurer du stock dans les établissements », avec des opérations de partage et de solidarité : « Un établissement qui a quelques jours d’avance prête des médicaments à celui qui en a le plus besoin. Cela se fait en intrarégional et en interrégional. » Et ce, grâce à l’outil numérique de la start-up MaPUI Labs. Il cartographie les stocks de médicaments dans les hôpitaux et facilite les échanges entre établissements. D’abord mis en place en Île-de-France le 29 mars, il devrait se déployer progressivement sur toute la France. Mais malheureusement, comme le souligne Patrick Léglise, « quand les produits vitaux face au Covid-19 sont en tension quelque part, ils le deviennent rapidement partout ».
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Rozenn Le Saint