Une centaine de parlementaires français ont, à l’initiative de la députée Pascale Fontenel-Personne, cosigné une lettre réclamant à l’Union européenne la mise en place d’un « fonds passagers » pour garantir le remboursement des billets en cas de crise ou de faillite d’une compagnie aérienne.
À chaque faillite de compagnie aérienne – et elles sont nombreuses, 25 en 3 ans –, c’est la douche froide pour les clients, qui découvrent que leurs billets d’avion ne seront jamais remboursés. Et en pleine épidémie de Covid-19, alors que le trafic aérien est à l’arrêt, ces mêmes passagers se voient imposer des avoirs au lieu du remboursement prévu par la réglementation européenne. Avoirs qui, en cas de faillite de la compagnie, seront perdus.
C’est dans ce contexte que la députée de la Sarthe Pascale Fontenel-Personne (apparentée LREM), coprésidente du groupe « tourisme » de l’Assemblée nationale, a adressé le 9 avril un courrier cosigné par 105 députés à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et au secrétaire d’État chargé des Transports Jean-Baptiste Djebarri.
Les députés notent « qu’en dehors de toute dérogation au règlement européen […] de nombreuses compagnies aériennes imposent à leurs clients et aux agences de voyages, lorsque le vol est annulé et non volé, des avoirs de durée variable ». Or, « connaissant les difficultés de trésorerie actuelles de nos entreprises du transport aérien, la pratique des avoirs par les compagnies aériennes ne peut être acceptable que si, et seulement si, elle est encadrée et garantie », poursuivent-ils. Ils appellent donc l’Europe à « mettre en place d’urgence un « fonds passagers » garantissant aussi bien les voyageurs que les agents de voyages ».
Ce fonds de garantie, que l’UFC-Que Choisir appelle également de ses vœux, a déjà été mis en place au Danemark. Le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, dans un courrier adressé le 9 avril à l’ensemble des États membres, a cité ce fonds comme un exemple des mesures mises en place pour garantir que les organisateurs de voyages continuent à disposer de liquidités, tout en leur permettant de régler rapidement et efficacement les demandes de remboursement des voyageurs.
Entretien avec Pascale Fontenel-Personne, députée de la Sarthe
« Nous sommes en train de faire porter le risque sur les agences de voyages et sur les consommateurs »
Que Choisir : Alors que de nombreuses compagnies aériennes ont décidé de ne pas respecter la réglementation européenne et imposent des avoirs à leurs clients, vous avez réuni 105 députés français issus de divers groupes politiques – du PCF à LR – pour réclamer à l’Union européenne la mise en place d’un « fonds passagers ». Cette demande revient à chaque faillite de compagnie aérienne. Qu’est-ce qui vous a poussé à relancer cette initiative aujourd’hui ?
Pascale Fontenel-Personne : Je suis favorable depuis des années – j’ai été agent de voyage avant d’être députée – pour que les vols secs soient garantis. En 3 ans, 25 compagnies aériennes ont mis la clef sous la porte et, à chaque fois, les consommateurs se sont retrouvés sans recours. Je comprends bien qu’il faut aider les compagnies aériennes, qui sont aujourd’hui en grande difficulté, mais nous sommes en train de faire porter le risque sur les agences de voyages et sur les consommateurs, au lieu de le rendre équitable. C’est pourquoi je pense qu’il est temps de réfléchir à un « fonds passagers », c’est-à-dire une garantie européenne pour les rassurer face à une crise comme aujourd’hui ou à une défaillance d’entreprise. J’avais interpellé le ministre de l’Économie à ce sujet au moment de la faillite de XL Airways, mais ce n’était pas une urgence nationale et le dossier n’a pas avancé. Aujourd’hui, c’est une urgence mondiale.
QC : Vous citez les consommateurs, mais aussi les agences de voyages. Comment sont-elles touchées ?
PF-P : Les agences de voyages dont les séjours comportaient des vols annulés sont en péril car elles sont contraintes de rembourser en totalité leurs clients, tout en se retrouvant face à des compagnies aériennes qui ne veulent pas leur rembourser, à elles, les billets achetés ! Ce n’est pas tenable. Il faut se saisir du dossier pour le régler de manière définitive : que l’on ait le courage, en Europe, de faire un « fonds passagers », comme on en a aujourd’hui en France pour des séjours chez un voyagiste [pour ouvrir une agence de voyages, il est obligatoire de souscrire une garantie financière, auprès de l’Association professionnelle de solidarité du tourisme (APST), d’une banque ou d’une compagnie d’assurance, ndlr].
QC : Comment fonctionnerait ce « fonds passagers » ?
PF-P : Cela n’engage que moi, et je ne suis pas ministre de l’Économie, mais il y a plusieurs pistes. Il pourrait prendre la forme d’une garantie prise au moment de l’achat du vol, être alimenté par les compagnies aériennes ou par des fonds européens, etc. Il existe des assurances annulation : on pourrait peut-être en dédier une partie, ou rajouter un ou deux euros, pour alimenter un fonds de garantie.
Cette garantie financière permettrait de résoudre d’autres problèmes en rendant les compagnies aériennes plus sereines. Les difficultés financières chez certains transporteurs seraient beaucoup moins taboues s’ils savaient qu’il existe une garantie qu’il est possible d’alerter sans attendre le tout dernier moment. On pourrait ainsi amortir les difficultés pour les consommateurs, mais aussi pour les compagnies.
QC : Le gouvernement danois a étendu son fonds de garantie des voyagistes pour couvrir les faillites des transporteurs, en menaçant les compagnies réfractaires de leur supprimer les droits de trafic si elles ne participaient pas. Un tel dispositif ne pourrait-il pas être mis en place par la France, sans attendre l’aval de l’Europe ?
PF-P : C’est possible. Je suis heureuse que malgré le confinement, plus d’une centaine de députés aient signé ma lettre, d’une manière transpartisane. Cela montre que nous pouvons être tous d’accord sur le sujet. Nous ne pouvons pas le mettre à l’agenda dans les huit jours, car il y a d’autres urgences, mais je serai prête à pousser ce sujet. Ce fonds permettrait de donner une meilleure image de l’aérien. Aujourd’hui, tous les gens qui achètent des vols secs sont inquiets : ils se disent que si la compagnie fait faillite, ils perdront leur argent. C’est une inquiétude qui n’existait pas avant. On ne peut pas continuer comme cela alors que la France est en pointe sur la protection du consommateur. Et je pense que d’autres États vont le faire aussi car les consommateurs sont concernés partout.
QC : L’Association internationale du transport aérien (Iata), de longue date défavorable à un tel fonds, mène une campagne de lobbying auprès de la Commission européenne pour obtenir une dérogation au règlement. Pour l’instant, la Commission leur a opposé une fin de non-recevoir. Ce refus de la Commission d’accéder aux exigences de Iata vous rend-il optimiste quant à la prise en compte de votre courrier ?
PF-P : Je suis optimiste, car le discours est le même partout, que ce soit chez les fédérations de voyagistes, les consommateurs ou les parlementaires. Ce n’est pas un courrier contre Iata : c’est un courrier qui vise à améliorer son fonctionnement, qui doit s’adapter aux temps nouveaux. Je pense que lorsque plus d’une centaine de parlementaires écrivent à la présidente de la Commission européenne, le dossier sera étudié de manière subtile. Et j’espère que dans l’année, on aura dessiné le sujet pour que le projet prenne forme.
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Morgan Bourven