Longtemps recommandée à quasiment tout le monde en prévention des accidents cardiovasculaires, l’aspirine est désormais réservée aux seules personnes déjà atteintes d’une maladie cardiovasculaire. Décryptage d’une volte-face.
Depuis une cinquantaine d’années, l’aspirine à petite dose (75 à 100 mg) a été prescrite en prévention des accidents cardiovasculaires. À cette dose en effet, l’acide acétylsalicylique a des propriétés antiagrégantes : elle empêche la formation de caillots sanguins qui sont à l’origine de thromboses, d’embolies, d’infarctus ou d’AVC. Aussi a-t-elle été prescrite larga manu pour éviter la survenue de tels accidents. Fin avril 2022, l’USPSTF (US Preventive Services Task Force), un groupe d’experts américains indépendant et influent dédié à l’évaluation des soins en prévention, en a restreint très sévèrement l’usage. Pour les plus de 60 ans non atteints de maladie cardiovasculaire, il est désormais recommandé de NE PAS prendre cette aspirine quotidienne à petite dose.
Ce faisant, les experts changent radicalement les recommandations jusque-là plutôt favorables à l’aspirine pour tous. Pour comprendre ce revirement, il faut distinguer deux situations de « prévention ».
- La prévention « secondaire » concerne les personnes malades, déjà atteintes de problèmes cardiovasculaires (antécédents d’infarctus, d’AVC, atteinte coronarienne), et vise à éviter la survenue très probable ou la récidive de tels accidents. Pour ces personnes, l’intérêt de l’aspirine est bien établi et c’est un des traitements de référence, pas de discussion.
- La prévention « primaire », en revanche, concerne les personnes en bonne santé, qui ne sont pas atteintes de pathologies cardiovasculaires. Pour elles, les choses étaient nettement moins bien étayées. Pour caricaturer la situation, les médecins leur prescrivaient de l’aspirine quotidienne à petite dose essentiellement en se disant que si ça marchait pour les malades, ça marcherait pour les personnes en bonne santé. Une supposition renforcée par l’impression que ce traitement était sans danger et sa prise anodine, comme celle de vitamine C ou de magnésium.
Surcroît inexpliqué de cancers
En 2018, plusieurs essais cliniques sont venus mettre à terre cet échafaudage bancal. L’un de ces essais a comparé les effets d’une prise d’aspirine durant 5 ans à celle d’un placebo chez des personnes âgées de plus de 70 ans en bonne santé cardiovasculaire.