Les forêts accueillent les trois quarts de la biodiversité mondiale. À l’heure de la sixième extinction de masse des espèces vivantes, préserver ces écosystèmes est donc un enjeu vital. Pourtant la déforestation se poursuit à grands pas : 11 millions d’hectares d’arbres disparaissent chaque année, coupés ou brûlés par l’homme, pour la plupart dans les pays tropicaux d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine – dont plus de 4 millions pour la seule Amazonie. Ils laissent la place à des cultures, des villes, des routes, des mines…
L’agriculture, première responsable
L’agriculture est à elle seule la cause de plus de 70 % des abattages, qui ont surtout lieu dans les pays tropicaux. Une partie laisse la place à des cultures vivrières consommées par les populations locales. L’autre partie est plantée de cultures industrielles destinées à l’exportation, dont une dizaine seulement accaparent la quasi-totalité des surfaces défrichées. Le soja est de loin la production la plus impactante, mais la moins visible. Issu des territoires amazoniens du Brésil, il va essentiellement à l’alimentation des animaux d’élevage – volailles, porcs, vaches laitières, etc. – de tous les continents. L’élevage bovin, lui aussi, coûte cher à l’Amazonie : deux millions d’hectares seraient coupés chaque année pour servir de pâturages, selon le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) ; il est consommé sur place en majorité.
Parmi les autres cultures sources de déforestation, l’huile de palme des plantations d’Indonésie et de Malaisie part vers la filière agroalimentaire, les cosmétiques ou encore les agrocarburants. Les champs de canne d’Amérique latine et d’Afrique fournissent notre sucre et l’éthanol pour nos voitures, tandis que les plantations d’hévéa de Thaïlande ou d’Indonésie servent à fabriquer nos pneus. Nous sommes aussi gros consommateurs de café, cacao, thé, bananes… Enfin, les bois tropicaux fournissent notre bois d’œuvre pour la construction et la pâte à papier (2 % des surfaces déforestées).
L’Europe « importe » 10 % de la déforestation mondiale
Près du tiers de ces produits agricoles qui poussent en lieu et place des forêts tropicales est envoyé vers les pays riches et émergents. À elle seule, l’Europe en absorbe 33 %, soit environ 10 % du total de la déforestation mondiale, estime le Cirad. La France, si elle n’importe quasiment pas de bœuf « déforestant », est en revanche grosse consommatrice de soja pour ses élevages et son agrocarburant – elle en importe plus de 3 millions de tonnes par an, soit la moitié de sa déforestation importée. L’Hexagone est également très demandeur d’huile de palme (70 % des importations partent dans les moteurs diesels de nos voitures), de bois, d’hévéa (Michelin est l’un des leaders mondiaux des pneus) et de cacao.
Ces cinq filières, ainsi que le bœuf (1), sont en ligne de mire de la Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI), lancée en 2018 par le gouvernement (2). L’une des ambitions affichées est d’atteindre « zéro déforestation importée » en 2022 pour les achats publics. Difficile d’y croire !
Des labels pas assez ciblés
Vu l’urgence, il faut agir à la fois sur l’offre et sur la demande : des matières premières agricoles produites sans déforestation, en parallèle à une consommation plus sobre et orientée vers des produits durables. Mais comment identifier les produits vertueux ? Il n’existe pas encore de « score déforestation », bien que ce soit l’une des ambitions de la SNDI. Pour le consommateur, restent les labels affichés sur les produits. Mais sont-ils efficaces ? « Les labels mettent généralement l’accent sur des critères comme la rémunération des producteurs ou la durabilité, mais ils sont incomplets pour estimer la déforestation ou la dégradation du couvert forestier, regrette Guillaume Lescuyer, chercheur au Cirad. Quelques micro-niches, comme certains cacaos bio, satisfont à peu près au zéro déforestation, mais pour le reste, on n’y est pas encore. »
Une partie des cahiers des charges tiennent la route en théorie, mais leurs critères s’avèrent dans la plupart des cas insuffisants vis-à-vis de la déforestation et de la dégradation du couvert forestier. Par ailleurs, d’autres écosystèmes d’intérêt, comme les tourbières ou les savanes (comme le Cerrado, au Brésil), sont mal pris en compte. Quant à l’application sur le terrain, elle peut être difficile et parfois sujette à interprétations par les auditeurs qui certifient les productions. Estimer la déforestation est très difficile faute d’historique ou de cadastre, et la traçabilité des produits est rarement possible jusqu’aux parcelles, tandis que le coût de la certification exclut de nombreux petits producteurs du sud.
La plupart des labels sont conscients de la pression accrue des consommateurs sur le sujet, et travaillent à améliorer leurs cahiers des charges. Il faudra néanmoins compter quelques années avant qu’ils soient opérationnels. Certaines entreprises ou filières affichent déjà des démarches privées, à l’instar de Michelin pour l’hévéa ou des fabricants français d’aliments du bétail pour le soja brésilien. Les entreprises de l’agroalimentaire se tournent de plus en plus vers de l’huile de palme non déforestante. Mais attention au greenwashing en l’absence de critères pertinents et de contrôles fiables. « Peu d’acteurs ont intérêt à être exigeants sur la déforestation, car ce critère ne répond pas à un intérêt économique, contrairement à la formation des producteurs, par exemple », analyse Yann Laurans, économiste à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Mettre la main à la poche
Bien sûr, un produit certifié coûte plus cher, à l’instar du bio, même si l’ampleur de la hausse est à relativiser : « Dans les produits chocolatés, le cacao compte pour 10 % du coût, souligne Yann Laurans. Une hausse aura peu de répercussions sur le prix final. Pour le consommateur, il s’agit de manger moins, mais mieux, et d’accepter de payer plus cher pour des produits certifiés. Les labels existants sont certes imparfaits, mais ils ont le mérite d’exister. Un intérêt accru pour la déforestation les poussera vers plus d’exigences. »
Des labels insuffisants sur la déforestation
Soja
TRS et ProTerra : intéressants mais partiels (prise en compte de la déforestation, mais pas de la dégradation des forêts). Peu utilisés, avec seulement 2 à 3 % des volumes certifiés.
Huile de palme
RSPO et ses déclinaisons nationales ISPO (Indonésie) et MSPO (Malaisie), ISCC pour les agrocarburants : trop partiels et peu satisfaisants en pratique, avec une interprétation hétérogène des critères. Peu utilisés par les filières françaises.
Bois d’œuvre
PEFC et FSC : socle intéressant mais encore incomplet (en particulier sur la dégradation du couvert). Labels anciens en cours de réévaluation.
Cacao
Rainforest Alliance/UTZ, Commerce équitable, Bio : bien globalement, même si l’aspect « dégradation » est oublié. La norme ISO 34101 est très insuffisante.
Hévéa et bœuf
Aucun label satisfaisant.
Réduire son empreinte
Plusieurs ONG proposent des calculateurs en ligne pour évaluer son « empreinte forêt », à l’aide de questionnaires sur ses habitudes de consommation, à l’instar de All4trees en partenariat avec Envol vert. Ils suggèrent également des pistes d’amélioration.
(1) La France en importe peu, mais il est intégré au cycle de production du soja : les arbres abattus laissent place à des pâturages, remplacés par le soja au bout de quelques années.
(2) https://www.ecologie.gouv.fr/france-veut-mettre-fin-dici-2030-deforestation-causee-limportation-produits-non-durables-0